Hikoshiro Sato 9ème dan hanchi Iaï-do 9ème dan hanchi Kendo |
Dans le monde des arts martiaux celui qui enseigne est "sensei"(dans les Budo Japonais) ou "sifu" (dans les Wu Shu chinois). Il y a autour de ce terme un ensemble de conceptions qui retirent le judo du monde sportif, il faut y penser sans cesse lorsque vous vous trouvez au dojo, et agir en conséquence. Le Sensei est plus qu'un entraîneur, sans être obligatoirement un maître (Shihan). Ce qu'il incarne est cependant en soi déjà une grande richesse dont pourront profiter tous ceux qui sont prêts, au fond d'eux-mêmes, à le recevoir. Pour en faire le tour il faut bien s'imprégner du sens que donne la civilisation de l'Extrême-Orient aux termes de Sensei et de Sifu.
Le Sensei est quelqu'un
qui a quelque chose à vous apprendre, et, au-delà,
à vous"donner" en plus lorsque vous serez
prêt, et qui œuvre de toutes ses forces dans ce sens.
Sa tâche est désintéressée pour lui-même. Le fait de
lui payer une cotisation ne change rien à l'affaire, car si
vous pouvez payer le prix de sa peine, vous ne pouvez
jamais lui payer le prix du cœur. C'est bien la première raison qui
fait que l'on respecte un Sensei, même si ce n'est pas le sien,
et qu'on lui voue une confiance totale lorsqu'on aura choisi de
le suivre .
Un oriental se remet totalement à son Sensei non parce que ce dernier à un bagage technique impressionnant, ce qui doit aller de soi, mais parce qu'il représente une expérience, un acquis culturel, une garantie morale.
Le Sensei, le Sifu, c'est un père pour l'élève. Ni Dieu, ni saint, il n'est pas un être exceptionnel en soi, à moins qu'il ne faille désormais considérer le don de soi comme une qualité exceptionnelle. Il est un homme, ou une femme, donnant une part de sa vie et d'une énergie irremplaçable pour tirer ceux qui l'ont choisi. Un guide d'un bout à l'autre d'une vie. Il restera Sensei, même lorsqu'il n'enseignera plus. Par tous il est reconnu comme Sensei car la réputation acquise, même auprès d'autres, suffit.
Le
Sensei a l'habileté technique. Il n'est pas forcément le plus
fort en tout. Sa force à lui, la vraie, est de toute
manière remplacée par le support mental acquis par des années
d'entraînement et de recherche. Ne vous trompez pas sur sa
véritable efficacité, qu'il ne prouve pas, ou plus,
parce qu'il n'a rien à prouver. Et s'il n'enseigne pas
toutes les techniques que vous aimeriez qu'il vous démontre,
ce n'est ni parce qu' il ne les connaît pas, ni
parce qu' il veut les garder jalousement est fier de voir ses
enfants réussir mieux que lui, mais parce que votre niveau
ne le pour lui, car le but du Sensei est que l'élève un
jour le dépasse, comme un père lui permet pas. Parce
que, à la limite, cela nuirait à votre
progression. Mais, par délicatesse, il ne vous
le dira pas, acceptant de paraître peut-être moins grand
dans votre esprit. Pour lui, ce n'est pas une raison
de changer d'attitude. Le Sensei n'est pas vulnérable à la
surenchère.
Le
Sensei est un pont jeté entre le passé et le futur. Sans lui,
vous n'aurez pas de racines et ce que vous faites n'a pas de
sens. Enseigner une gymnastique, même
très
ressemblante, ce n'est pas enseigner l'esprit du Do. Lui,
sait, même s'il n'est pas encore arrivé lui-même au bout
de la Voie. Car il aura toujours cette bonne longueur
d'avance,
bénéfice de l'expérience, privilège de l'âge qui est
une garantie sécurisante .Sa responsabilité, écrasante,
il ne l'éprouve pas seulement à votre égard mais plus peut
être encore à l'égard de ceux qui lui ont confié sa tâche.
Un Sensei a une responsabilité historique dans le cadre de la vie d'un "ryu" (école). Il est maillon d'une chaîne qui vous relie au ryu, c'est-à-dire à une grande famille. Son rôle est de tenir bon, envers et contre tout, malgré les modes et les forces qui font craquer la société dans laquelle il vit afin de garder intact le patrimoine puis de passer un jour le relais. Modestement, il y va de son honneur de Sensei. Le Sensei comprend ; il est à l'écoute des autres, sans pourtant qu'il soit affranchi de ses propres problèmes.Mais comprendre n'est pas toujours tout admettre. Tolérance n'est pas permissivité, qui est a un pas de l'indifférence.
Un Sensei respecte une ligne, incarne un type de démarche, n'en change pas par complaisance ou facilité. Parce que l'avenir de ses élèves lui importe, le Sensei peut être amené à sévir. Alors, parfois il tranche, choque par son intransigeance, étonne par un soudain refus de dialogue. Parce ce que l'on ne comprend pas ce qu'il a déjà senti que ce dialogue est devenu inutile, écran de fumée pour tenter de masquer une diaspora de fait des techniques ou des idées, nuisible pour le "ryu"préjudice à votre propre progression. Entre le Sensei et ses élèves doit s'établir un lien affectif ; mais s'il faut, par une décision brutale, créer un choc au niveau de cette affectivité pour que l'élève ait des chances de mieux comprendre à terme, le Sensei n'hésitera pas à prendre le risque de le perdre apparemment. Il peut y aller de son avenir et en tout cas de celui du "ryu". Donc de son honneur de Sensei.
Le Sensei est expérience, présence, garantie, compréhension, rayonnement, autorité.
Un père. Comme lui, il n'est pas toujours compris, ni aimé, mais ce n'est pas là son problème. Tant pis, si cette satisfaction ne lui est pas donnée. Ce qui compte, la raison de son engagement, c'est l'efficacité à terme. Dans cette perspective, le temps ne peut compter que pour celui qui est préoccupé de popularité et de satisfactions rapides et factices. Le Sensei est rare,précieux,irremplaçable.
Trop facile de dire qu'il est parfait. Cela rassure en effet de le ranger parmi les êtres exceptionnels, car cela excuse ses propres insuffisances. Sensei, Sifu, sont bien des valeurs humaines que l'on souhaiterait plus répandues dans tous les domaines de la vie. "C'est en devenant vraiment un homme que l'on devient Bouddha" a écrit quelque part Maître Deshimaru.
Regardez désormais mieux autour de vous. Soyez plus réceptif à ce qui émane de votre Sensei. Avec un peu d'attention, il est difficile d'être abusé : s'il n'a pas usurpé son titre, vous le saurez à mille attitudes auxquelles vous n'avez peut-être pas prêté attention jusqu'à ce jour. Et si, comme je vous le souhaite, vous le reconnaissez comme tel, entourez-le de votre présence. Même lui ne peut toujours donner sans recevoir.
Extrait de : VOIX DU KENDO , n° 18
Guérillot Paul Senseï Melbourne Australie |